Pari de Pascal 3/4: Modèle mathématique et réfutation

Enseignement du Pari de Pascal

Il est légitime de mettre le Pari de Pascal au programme des écoles. Mais il arrive que certains enseignants, peu  respectueux de laïcité, développent ce thème au-delà de ce qu'exige la culture pour en faire un outil missionnaire, le but étant de préparer les élèves à accueillir la foi. Lorsque l'idéologie l'emporte sur le sens critique, l'élève doit le percevoir clairement. La raison exige alors qu'un contrepoids lui soit opposé.

Le Pari de Pascal

«Mais votre béatitude? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.»
[Blaise Pascal, Pensées, 1670, extrait]

Le raisonnement du Pari de Pascal est circulaire

Admettons temporairement la valeur d'une chance sur deux pour la probabilité que Dieu existe. Si cela est, on gagne la vie éternelle au Paradis, et le gain est infini. Dans le cas contraire, on ne perd rien. Le choix semble facile à faire.
Il faut cependant se méfier des hypothèses cachées. D'abord, dans l'objet du pari, il n'y a pas que l'existence de Dieu, mais aussi que la religion catholique serait vraie et que la pratique religieuse conduirait au Paradis. Ensuite, il est prudent d'examiner ce que recouvre le terme «infini».
En mathématiques, l’infini apparaît comme limite de suites. Considérons par exemple la suite ainsi suggérée:
  • à un jeu dont la mise est nulle, à chaque essai, on gagne mille euros aléatoirement une fois sur deux;
  • à ce jeu dont la mise est nulle, à chaque essai, on gagne un million d’euros aléatoirement une fois sur deux;
  • à ce jeu dont la mise est nulle, à chaque essai, on gagne un milliard d’euros aléatoirement une fois sur deux,
  • et «ainsi de suite».
Or, les ressources terrestres sont limitées. Pour prononcer le «ainsi de suite», il faut admettre que le surnaturel existe. Autrement dit, Pascal suppose implicitement l’existence de Dieu, ce qui constitue un cercle vicieux, un raisonnement circulaire.

Formulation généralisée du Pari de Pascal

Initialement, le Pari de Pascal est censé soutenir la foi catholique. Mais son élément central - la possibilité d'un gain gigantesque - n'a rien de spécifiquement chrétien et peut être adapté à n'importe quelle doctrine qui promet beaucoup. Sa polyvalence permet même d'en exploiter le principe bien au-delà du domaine religieux. Sa formulation généralisée s'énonce: «Plus la promesse est merveilleuse, plus il est fondé de miser sur elle».

Variations sur le Pari de Pascal

Une publicité nous sollicite: «Si vous achetez ce produit, vous serez plus heureux. Si vous y renoncez, vous vous privez d'un grand service. Pesez le pour et le contre, et n'hésitez pas à l'acquérir!»
Un politicien harangue: «Je vais améliorer l'avenir de la société, et vous pourrez en profiter à votre aise. Il vaut la peine de miser sur moi: je compte sur votre vote!»
Un guérisseur qui demande d'avoir foi en ses pouvoirs: «Si tu me fais confiance, ta maladie disparaîtra et tu pourras vivre encore longtemps. Pourquoi ne pas essayer puisqu'il y a tant à gagner?»
Le prêtre chrétien qui parle au nom de Jésus: «Si tu me suis, tu seras récompensé par un bonheur éternel. Deviens mon disciple, et ton gain sera infini!»

Au-delà du charlatanisme

Une hypothèse non vérifiée reste une hypothèse dont la confirmation ou la réfutation est reportée dans le futur. Par contre, une «hypothèse invérifiable» perd son statut d'hypothèse pour devenir une fable ou une idéologie.
Le principe du Pari de Pascal endort les crédules par le réconfort immédiat procuré par l'espérance d'un gain miraculeux. Le bonimenteur est indifférent au vrai et au faux, car il ne se soucie que de plaire, pour son plus grand avantage. Alors que les promesses des charlatans peuvent être invalidées par l'absence des résultats attendus, celles des propagandistes religieux sont absolument invérifiables, ce qui les situe au-delà du charlatanisme.

Pour les amateurs d'espérance mathématique

 Dans le contexte du Pari de Pascal, la mise, qui est l'engagement chrétien, est fixée, ou tout au moins plafonnée. Dans ce qui suit, nous la supposons constante. Il reste deux variables : le gain et la probabilité de gain. Dans tous les jeux de hasard, plus vous visez un gain élevé, plus la probabilité de gagner diminue. Par exemple, en misant 1€, c'est un jeu équitable de pouvoir gagner 1000€ avec une probabilité de 1/1000; dans un autre jeu, en misant 1 €, il est équitable de pouvoir gagner 1'000'000€ avec une probabilité de 1/1'000'000. Dans ce contexte, on peut affirmer que, lorsque le gain tend vers l'infini, la probabilité de gagner tend vers 0.
Que se passe-t-il si l'espérance mathématique E du jeu est non nulle? La formule à considérer est la suivante:
\[ p = \frac{E+mise}{gain} \]
Alors que les joueurs auxquels s'adresse le Pari s'attendent à une espérance mathématique proche de zéro, c'est-à-dire à un jeu pas trop biaisé, les croyants imaginent une espérance immense. Mais cela ne change rien: même si E vaut un milliard, lorsque le gain tend vers l'infini, la probabilité de gagner tend vers 0.
Si la probabilité de gagner est positive, faire tendre le gain vers l'infini équivaut à admettre le surnaturel. Mais on ne peut pas en faire l'hypothèse puisque c'est précisément ce que l'on veut prouver. Dans le cadre des jeux de hasard, les deux assertions «le gain est infini» et «la probabilité de gagner est un réel positif» sont incompatibles.
On peut maintenant corriger le principe énoncé plus haut: «Plus la promesse est merveilleuse, moins elle est probable. Et, à la limite, elle est invraisemblable.»
Pour renforcer par un autre argument que «la probabilité d'obtenir un gain infini est nulle», appel est fait au document De la probabilité qu'une religion donnée soit vraie, ce qui nous amène à la situation suivante:
\[ E = -mise + \underbrace{\overbrace{gain}^{\to \infty} \cdot \overbrace{p}^{\to 0}}_{\text{indéterminé}} \]
Nous nous trouvons face à une indétermination du type «l'infini fois zéro». Ainsi le raisonnement mathématique aboutit à une impasse, et les conclusions qu'en a tirées Pascal sont infondées.

Aspects mathématiques du Pari de Pascal

Le Pari de Pascal tire ses arguments du cadre des jeux de hasard.

Le modèle mathématique de la théorie des jeux

Beaucoup de commentateurs contemporains formalisent le pari de Pascal avec la théorie des jeux dont les fondements ont été décrits vers les années 1920 par Ernst Zermelo, puis développés par Oskar Morgenstern et John von Neumann en 1944. Comme Pascal est décédé en 1662, c’est un anachronisme d’interpréter le pari de Pascal au moyen de la théorie des jeux, et le risque est grand de trahir sa pensée.
Par ailleurs, l’infini est traité comme une entité, ce qui pose des problèmes de réalisme dont nous reparlerons.

Le modèle mathématique de Huygens

La première personne à poursuivre avec succès les travaux de Pascal sur les jeux de hasard fut le mathématicien et physicien hollandais Christiaan Huygens. Durant la période 1655 - 1657, alors que Pascal vivait encore, il généralise la méthode de Pascal au cas où les probabilités de transition sont inégalement réparties. Il est aussi le premier à utiliser le terme d'espérance (Hoffnung). C’est cette manière historique de formaliser le pari de Pascal qui me paraît pertinente et que j’ai retenue.
Christiaan Huygens
Christiaan Huygens
En ce qui concerne l’infini, il ne sera pas traité comme une entité, mais comme une limite.

Un exemple de jeu : le plein à la roulette

La roulette comporte 37 cases numérotées de 0 à 36. Jouer «le plein» consiste à placer la mise, notée m, sur un seule case. Si le numéro choisi sort, le joueur gagne 36 fois la mise; il s’agit du gain brut duquel on doit encore déduire la mise pour obtenir le gain net. Dans notre modèle, nous ne tenons pas compte de ce que le joueur laisse habituellement pour le personnel du casino. La variable aléatoire du jeu est

\[ \begin{equation*}\left\{\begin{array}{ccc}−m + 36m = 35m & \text{ avec une probabilité de } & 1/37,\\-m & \text{ avec une probabilité de } & 36/37.\end{array}\right.\end{equation*} \]

L’espérance de gain du jeu est
\[ E = (35 m) \cdot \frac{1}{37} + (m) \cdot \frac{36}{37} = (-\frac{1}{37}) \cdot m \]
Cela signifie que, sur un grand nombre de parties, le joueur perd en moyenne 1/37 de ses mises, au profit du casino. C’est un jeu à espérance négative.

La formule de l’espérance mathématique

Pour généraliser, considérons un jeu de hasard dans lequel, pour une mise m, on peut gagner un gain g avec une probabilité p. La variable aléatoire est
\[ \begin{equation*} \left\{ \begin{array}{ccc} -m + g & \text{ avec une probabilité de } & p,\\ -m & \text{ avec une probabilité de } & 1-p. \end{array} \right. \end{equation*} \]

L’espérance de gain du jeu est
\[ E = (-m+g) \cdot p + (−m) \cdot (1-p) = -m + g \cdot p \]
Retenons
\[ E = -m + g \cdot p \]
De cette dernière formule est tirée l’expression de la probabilité :
\[ p = \frac{E+m}{g} \qquad \text{ où } \quad g>0 \]
Les conditions 0 ≤ p ≤1 entraînent que 0  ≤ E + m  ≤ g

Cas des jeux équitables

Dans le cas où l’espérance est nulle, on dit que le jeu est équitable. La probabilité de gagner est alors p = m/g. Par exemple, en misant 1€, c'est un jeu équitable de pouvoir gagner 1000€ avec une probabilité de 1/1000 ; dans un autre jeu, en misant 1€, il est équitable de pouvoir gagner 1’000’000€ avec une probabilité de 1/1’000’000. Lorsque le gain est énorme, la probabilité de gagner est infime. À mise constante, si le gain tend vers l’infini, la probabilité de gagner tend vers 0:
\[ p = \lim_{g\to\infty} \frac{m}{g} = 0 \]

Cas des jeux dont l’espérance est grande

Si l’espérance est positive, il est nécessaire qu’un sponsor généreux participe à fonds perdus au financement des gains. Alors que les joueurs auxquels s'adresse le Pari s'attendent à une espérance mathématique proche de zéro, c'est-à-dire à un jeu pas trop biaisé, les croyants imaginent une espérance immense. Supposons par exemple que E vaille un milliard de fois la mise. Comme (E + m) est constant, la probabilité limite reste nulle:
\[ p = \lim_{g\to\infty} \frac{E+m}{g} = 0\]
c’est-à-dire, à mise constante, si grande que soit l’espérance mathématique, lorsqu’on fait tendre le gain vers l’infini, la probabilité de gagner tend vers 0.
Pour s’en convaincre, considérons la suite de gains suivante : 10∙(E+m), 100∙(E+m), 1000∙(E+m), 10000∙(E+m) et ainsi de suite. Les probabilités correspondantes auront pour valeurs:
gp
10⋅(E+m)0.1
100⋅(E+m)0.01
1000⋅(E+m)0.001
10000⋅(E+m)0.0001
......
0
Pour obtenir ce résultat, il n’est pas nécessaire que l’espérance mathématique soit constante, mais seulement que sa valeur absolue soit majorée, c’est-à-dire qu’il existe un nombre E tel que, pour tous les gains,
|espérance mathématique| ≤ E
Finalement, le Pari de Pascal est infondé.

Discussion

Question ou objection
Il me reste un doute. Ainsi, pour moi, la probabilité que Dieu existe est peut-être petite, mais positive.
Réponse
Prenons une Église bien déterminée qui vous propose le salut à la condition de lui verser par exemple 100€ par mois. La probabilité que ce soit vrai est petite, mais on peut avoir un doute et juger que cette probabilité n’est pas nulle. Si vous n’effectuez pas les versements, c’est que vous ne soutenez pas jusqu’au bout l’idée de tenir compte des événements de faible probabilité. Pour quelle raison? Vraisemblablement parce qu’il est impossible de tenir compte de tout ce qui serait éventuellement possible. On doit décider de ce qui est sérieux et crédible, et rejeter tout le reste.
Personnellement, je n’ai pas le genre de doute que votre question évoque, car je crois fermement n’être pas doté d’immortalité. Ainsi, le pari de Pascal est sans objet.

Pourrait-on envisager que, avec g tendant vers l’infini, E tende aussi vers l’infini?
  1. On se retrouverait avec une indétermination du type « l’infini sur l’infini » ; la probabilité limite serait indéterminée, et l’on aurait échoué à montrer que la probabilité limite est positive.
  2. Pascal concède que la probabilité de gagner pourrait valoir 1/2 et décrète que la mise est nulle. Ainsi, pour lui, la formule à considérer est E = g/2. Par exemple,
    • si un jeu permet de gagner 1’000 €, on gagnerait en moyenne 500€ à chaque essai avec une mise nulle ;
    • si un jeu permet de gagner 1’000’000€, on gagnerait en moyenne 500’000€ à chaque essai avec une mise nulle ;
    • si un jeu permet de gagner 1’000’000’000€, on gagnerait en moyenne 500’000’000€ à chaque essai avec une mise nulle ;
    • en prolongeant à l’infini cette famille de jeux de contes de fées, on obtient évidemment un miracle, en l’occurrence le Pari de Pascal.
      Malheureusement, comme les ressources naturelles sont finies, pour passer à la limite, il est nécessaire de supposer que le surnaturel existe. Mais cette démarche consiste à admettre par hypothèse que Dieu existe pour prouver que Dieu existe. C'est un cercle vicieux. On peut conclure que, si la probabilité est fixée, on ne peut pas faire tendre le gain vers l’infini.
  3. Si le but est de convaincre des joueurs sceptiques, il est peu convaincant de faire appel à un acte de foi qui demande d’accepter à priori que le jeu est miraculeux, car il s’agit d’une caractéristique des arnaques. Puisqu’il faut être croyant pour que le Pari soit convaincant, le Pari perd beaucoup de sa substance: il n’est pas destiné à inciter des non-croyants à devenir croyants, mais seulement des croyants à devenir pratiquants.
  4. On aurait accepté comme hypothèse que «lorsque g tend vers l’infini, l’espérance mathématique E tend aussi vers l’infini», ce qui est un avatar du Pari de Pascal. Or, dans un raisonnement, admettre ce que l’on veut démontrer comme étant une hypothèse s’appelle un cercle vicieux.
  5. En faisant une promesse – le paradis – qui engage un tiers sur lequel il n’a aucune prise – Dieu –, le partisan du Pari met en œuvre un procédé qui s’apparente à celui des escrocs. À ce sujet, lire la quatrième objection «Renversement du Pari ...».
Que répondre à «La probabilité d’obtenir un gain infini est peut-être proche de 0, mais elle ne tend pas vers 0! C'est un réel positif fixé.»?
  1. La démarche consiste à situer le Pari de Pascal parmi les jeux de hasard dont les gains sont gigantesques, proches de l’infini. L’expression «lorsque le gain tend vers ...» signifie simplement que l’on effectue une comparaison avec des jeux voisins dont les gains sont gigantesques, proches de l’infini.
  2. On doit pouvoir s’approcher du gain infini par une suite de gains de plus en plus grands et observer l’incidence que cela a sur la probabilité de gain. Nommons ε le «réel positif fixé». On peut calculer le gain g = (E+m)/p qui correspond à p=ε  : il s’agit de gε = (E+m)/ε. Le modèle mathématique produisant une suite de probabilités qui tend vers zéro, cela a pour conséquence que tous les gains qui sont supérieurs à gε correspondent à des probabilités de gagner inférieures à ε:
    gp
    ......
    gεε
    10⋅gεε/10
    100⋅gεε/100
    ......
    ε ou 0 ?

    Malaise.
  3. La limite est le prolongement continu de la loi mathématique du jeu. Lorsque le dit «réel positif fixé» diffère de la limite, cela signifie que nous sommes en présence d’un saut, d’une discontinuité, et que la loi mathématique du jeu n’est pas respectée jusqu’au bout. Dans un jeu de hasard, les deux assertions «le gain est infini» et «la probabilité de gagner est un réel positif» sont incompatibles. Le Pari de Pascal ne se situe pas dans la lignée des jeux de hasard, mais en rupture avec eux. Le raisonnement de Pascal sort du cadre dans lequel il s’était placé. S’il s’agit d’une sorte de miracle, il faudra l’expliquer, de préférence par la raison plutôt que par la foi.
  4. Par ailleurs, en substituant les assertions «le gain est infini» et «la probabilité de gagner est un réel positif» dans la formule
  5. E = -m + g·p, on obtient une espérance mathématique infinie, ce que l’on peut approcher par «si la promesse de gain est gigantesque, alors on est quasiment assuré de devenir immensément riche». Voilà une affirmation dont les victimes des charlatans se repaissent, à tort.

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