Pari de Pascal 1/4: Quelle est la mise?

Dans le regard que nous portons sur le passé, nous devons garder un recul critique suffisant.

  • D'une part, la description historique doit être factuelle. Il faut aborder le pari de Pascal avec neutralité, le replacer dans son époque et ne pas le juger avec les critères actuels. À l'époque, le calcul des probabilités n'existait pas encore. C'est Pascal qui a effectué les premiers pas dans la création d'un nouveau chapitre des mathématiques, ce dont nous lui sommes redevables (voir La genèse du calcul des probabilités). Pascal est un grand esprit que je respecte. En ce qui concerne le calcul des limites et la convergence des suites, des définitions rigoureuses n'ont été établies qu'au XIXe siècle.
  • D'autre part, je dénonce une manière de présenter l'histoire de la culture occidentale quand elle est empreinte d'esprit missionnaire. En particulier, certains milieux catholiques ont fait du pari de Pascal un outil d'endoctrinement du XXIe siècle. Plus généralement, cette attitude touche tendanciellement tous ceux qui attribuent une valeur sacrée aux traditions spirituelles.

Ma critique ne porte pas sur Pascal en tant que personnage historique, mais sur la croyance que son pari serait encore d'actualité.

Réduction de la portée du «Pari de Pascal»

Le Pari est réservé aux personnes qui admettent à priori les hypothèses suivantes:

  • l'âme humaine est immortelle;
  • des divinités nous observent et nous jugent, nous récompensent ou nous punissent;
  • nous pouvons influencer notre avenir dans l'au-delà par un comportement adéquat;
  • des rituels peuvent susciter les faveurs divines.

Pour ceux qui n'y souscrivent pas pleinement, il n'y a rien à sauver, rien à gagner, donc le Pari est sans objet.

Première objection au Pari de Pascal: Quelle est la mise?

La mise est notre engagement religieux

Dans le Pari, Pascal nous suggère que la mise est nulle. Voudrait-il ainsi signifier que «Croire n'engage à rien»? La mise est notre vie, notre conscience, notre liberté; elle nous est infiniment précieuse; nous ne voulons pas la jouer aux dés.

Dans la plupart des religions, le clergé joue un rôle de facilitateur dans les relations entre les fidèles et Dieu, une sorte de «coaching religieux», jugé utile mais auxiliaire. De ce point de vue, le catholicisme est une religion singulière: d'une part, le clergé y exerce un rôle nécessaire et incontournable à travers les sacrements; d'autre part, à travers le Magistère de l'Église, il exerce l'Autorité suprême sur les consciences personnelles. La relation avec Dieu passe par la médiation du clergé qui y introduit ses exigences propres auxquelles le fidèle est tenu de se plier.

«Le pontife romain et les évêques en "docteurs authentiques, pourvus de l’autorité du Christ, prêchent au peuple à eux confié la foi qui doit être crue et appliquée dans les mœurs" (LG 25). Le magistère ordinaire et universel du Pape et des évêques en communion avec lui enseigne aux fidèles la vérité à croire, la charité à pratiquer, la béatitude à espérer. Le degré suprême dans la participation à l’autorité du Christ est assuré par le charisme de l’infaillibilité. [... Les fidèles] ont le devoir d’observer les constitutions et les décrets portés par l’autorité légitime de l’Église. Même si elles sont disciplinaires, ces déterminations requièrent la docilité dans la charité. [...] En même temps, la conscience de chacun, dans son jugement moral sur ses actes personnels, doit éviter de s’enfermer dans une considération individuelle. De son mieux elle doit s’ouvrir à la considération du bien de tous, tel qu’il s’exprime dans la loi morale, naturelle et révélée, et conséquemment dans la loi de l’Église et dans l’enseignement autorisé du Magistère sur les questions morales. Il ne convient pas d’opposer la conscience personnelle et la raison à la loi morale ou au Magistère de l’Église.»

Méfions-nous d'une religion qui sanctifie l'obéissance: croire nous rendra captifs. Quand j'ai compris que je devais aligner mes opinions sur toutes les prises de position du Magistère de l'Église, il m'a paru inacceptable de renoncer au principe de libre examen. Alors que même les prisonniers conservent leur liberté de pensée, les catholiques en sont privés.

Avec l'obéissance, le fonds doctrinal à reprendre est excessivement lourd. Nous pouvons légitimement refuser de nous soumettre à un endoctrinement religieux, de nous enchaîner aux préceptes, de pratiquer les rituels, de dire les prières, de nous laisser guider par le clergé, d'endosser un prêt-à-penser, et d'être constamment poursuivi par d'entêtantes préoccupations. Bref, nous n'avons pas tous la vocation de nous comporter en moutons sous la houlette de bons pasteurs.

Pour être sauvé, croire en Dieu ne suffit pas. Dieu vomit les tièdes. Un engagement docile et total est exigé. En particulier, les personnes suivantes sont en situation irrégulière et ont du souci à se faire pour leur salut éternel :

  • ceux qui, délibérément, manquent à la messe ou à l'Eucharistie dominicale;
  • les divorcés-remariés;
  • les homosexuels;
  • les personnes vivant en concubinage;
  • les couples utilisant des moyens artificiels de contraception.

On comprend pourquoi «beaucoup sont appelés, mais peu sont élus».

Celui qui affirme que, dans le Pari de Pascal, la mise est nulle – c'est l'interprétation de l'Église – mériterait que son nez s'allonge comme celui de Pinocchio.

Pour pallier les contraintes, beaucoup de contemporains ont choisi d'être croyants, mais de garder leur liberté par rapport aux dogmes et leur indépendance par rapport au clergé. Cet état d'affranchissement partiel ne suffit généralement pas à les délivrer du sentiment de culpabilité de vivre dans la désobéissance. Ils dépensent beaucoup d'énergie à se persuader qu'ils pourront quand même obtenir le salut éternel.

Quelle grandeur faut-il optimiser? L'exemple du jeu des 10 fermes

Un paysan possède pour tout bien une ferme qui lui permet de nourrir sa famille. On lui propose de jouer sa ferme à pile ou face: s'il gagne, il recevra 10 fermes semblables à la sienne dans la région où il habite. S'il perd, il doit donner sa ferme.

Malgré que l'espérance de gain soit nettement favorable, il serait bien fou d'accepter ce jeu: si on nous propose de miser quelque chose d'irremplaçable, nous recherchons, non un gain maximal, mais des pertes minimales!

Faut-il parier?

Chaque culture construit la ou les divinités qui symbolisent ses aspirations. Vaut-il la peine de sacrifier sa vie à une hypothétique récompense? La sagesse populaire a créé l'aphorisme

«Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux de deux Tu l'auras;
L'un est sûr, l'autre de l'est pas.»
[La Fontaine, Fables, Le Petit Poisson et le Pêcheur]

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