L’État doit-il privilégier une religion ?

 Plantons le décor et mettons en perspective: les crucifix sont accrochés dans les salles de classe et le Conseil d'État occupe une place officielle dans la procession de la Fête-Dieu. Les entreprises sont soumises à un impôt ecclésiastique, et tous les contribuables participent au financement, par le biais des impôts ordinaires, de la faculté de théologie catholique romaine.

L'État de Fribourg (Suisse) considère-t-il que les agnostiques et les indifférents à la religion sont des brebis égarées qu'il doit, si possible, ramener dans le bon troupeau ? Quand les chrétiens proclament leur espérance que le siècle à venir redeviendra religieux, espèrent-ils relancer l'endoctrinement ? De même qu'il existe une raison d'état, peut-on invoquer une raison d'Église qui l'emporte sur le respect des personnes ? Vivons-nous dans un état crypto-confessionnel, c'est-à-dire non confessionnel dans ses déclarations et son apparence, mais confessionnel dans son intérieur et son fonctionnement ? Les partisans d'un cléricalisme résiduel accordent-ils leur soutien aux musulmans qui, dans leurs pays respectifs, exigent que l'État soit religieux ?

Je pense au contraire que l'État, n’étant pas l’arbitre de la vérité religieuse, doit accueillir tous les citoyens de la même manière, sans faire de différences, qu'ils soient chrétiens, musulmans, bouddhistes, sans religion ou autres. En conséquence, il ne peut pas prendre parti pour certaines communautés particulières, par exemple en se proclamant chrétien ou déclarant que certaines religions ont droit à un statut privilégié.

Afin de conserver leur majorité politique, les partisans d'un cléricalisme résiduel vont-ils s'allier avec certaines minorités religieuses ? Va-t-on accorder un statut officiel aux pentecôtistes ? aux musulmans ? aux bouddhistes ? aux scientologues ? aux raëliens ? En Grande-Bretagne et en Grèce, la reconnaissance de communautés religieuses s'est enflée jusqu'à donner un statut juridique aux tribunaux islamiques.

À mon avis, l'État ne doit pas soutenir le communautarisme. Pour favoriser la paix civile, l'État devrait atténuer la division de la société en communautés religieuses par une politique restrictive en matière de faveurs. Il doit manifester, y compris dans l'enseignement public, sa neutralité face aux croyances.

La religion ne peut pas être indiquée sur les cartes d'identité à cause du risque de discrimination. De même, elle ne devrait figurer sur aucun document administratif, y compris sur ceux qui se rapportent aux impôts. Par exemple, la constitution de l'Espagne, dans son article 16.2, précise:

«Nul ne pourra être obligé à déclarer son idéologie, sa religion ou ses croyances.»

Or, dans le canton de Fribourg, l'État récolte et enregistre les listes des catholiques, des protestants et des juifs! Je m’étonne de ne pas entendre les pourfendeurs de l’État fouineur protester contre l’enregistrement de ces données sensibles. La rubrique «Religion» doit disparaître de la déclaration d’impôt fribourgeoise.

«Ne pas mélanger politique et religion» étant une recommandation universelle, les Occidentaux ne peuvent pas l’adresser qu’aux pays musulmans. L'Église et l'État doivent être complètement séparés dans toute la Suisse, à l'exemple des cantons de Genève et Neuchâtel. Je refuse qu'une partie de mes impôts soit affectée à soutenir la propagande du Vatican.

Il est admis que l'école ne soit pas politiquement engagée. Il devrait être de même en matière religieuse. Au lieu de s'attacher au formatage de l'esprit des élèves en favorisant la diffusion de mythes et de fables qui ne tiennent pas la route, le Direction de l'instruction publique ferait mieux de développer l'aptitude à prendre du recul et d'apprendre la pensée critique. Quelques rudiments d'épistémologie mettraient en évidence la distinction entre idéologie et connaissance objective. On pourrait prendre conscience que la vérité universelle n'existe pas et, par exemple, comparer diverses religions et idéologies du point de vue du respect des droits humains. Le statut de la femme peut découler d'une lutte pour le pouvoir dans laquelle la religion a été instrumentalisée. Les jeunes n'ont pas besoin d'une institution qui pense pour eux, mais d'acquérir des outils d'analyse. Un cadre de pensée doit être un tremplin, pas une limite. Puisque chacun est confronté à des idéologies diverses dont beaucoup sont toxiques, mieux vaudrait leur donner une sorte de fil à plomb qui permette de les juger sans se coucher devant la première venue.

«L'esprit critique» est reconnu comme l'une des compétences clés du XXIe siècle par l'OCDE, en particulier pour faire face à la profusion d'informations disponibles dans le monde numérique.

Le développement de l'esprit critique commence à être introduit en tant que tel dans l'enseignement. Des cours sont donnés pour repérer les théories aberrantes, prévenir l'adhésion à des idéologies irrationnelles et se prémunir de toutes les dérives liées à de fausses informations : le conformisme, les stéréotypes, les croyances infondées telles que l'astrologie, le soucoupisme, le conspirationnisme, le climato-scepticisme, l'homéopathie, le catastrophisme, etc. Et, dans une société laïque, on peut aussi mentionner la vie après la mort : il s'agit d'une croyance, pas d'un fait établi.

Divers moyens peuvent être mis en œuvre, tels que la vérification des sources, les éléments du raisonnement et la détection des arguments fallacieux, tous appliqués à des cas concrets comme certaines rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux: 

Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée
Des têtes bien faites, défense de l'esprit critique
Presses Universitaires de France (PUF) 2019

Mais, dans le canton de Fribourg, on préfère enseigner la philosophie filtrée par le catéchisme catholique.

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